La ligne de chemin de fer reliant Mulhouse à Thann est inaugurée le 1er septembre 1839. 130 ans plus tard, en 1969, la Cité du Bollwerk est dans ce contexte sélectionnée afin d’abriter le Musée Français du Chemin de Fer.
Un spectacle
ferroviaire
Où commence l’histoire ferroviaire ? Si l’on est tenté de revenir aux premiers traîneaux de l’Egypte ancienne, aux voies romaines à ornières ou aux rails en bois du Moyen Âge et de la Renaissance, le XIXe siècle s’impose comme l’âge d’or du chemin de fer.
“M’attrape qui peut” ou “catch me who can” est dans ce contexte désignée comme la première locomotive à vapeur de démonstration.
Créée par le britannique Richard Trevithick, cette machine à quatre roues est présentée au public londonien en 1808. Roulant sur un chemin circulaire de 200 mètres, la “machine de Trevithick” atteint alors les 20 km/h. A l’ombre des palissades, le public, venu en nombre et ôté de cinq shillings, assiste à ce spectacle inattendu. Alors que les plus téméraires montent sur l’unique wagon, l’inventeur, bientôt ruiné, n’a qu’une seule certitude, il ne s’agit là que d’une attraction anticipant ce qui deviendra par la suite l’une des plus grandes inventions de la période contemporaine : celle du transport ferroviaire.
“Une légère esquisse
de l’histoire”
Créé en 1833, Le Musée des Familles, Lecture du Soir se propose de dispenser “un cours complet d’instruction familière, amusante, variée, à la portée de tous”. S’adressant à un large lectorat, ce périodique richement illustré choisit de consacrer l’un de ses premiers articles aux chemins de fer. Après avoir précisé que ces derniers sont encore “peu connus en France”, le rédacteur s’attache à décrire le développement du transport ferroviaire de marchandises à partir de deux exemples : la ligne anglaise entre Manchester et Liverpool (1830) ainsi que celle de Saint-Étienne à Andrézieux (1827). Les gravures pittoresques, complétées de schémas techniques, permettent ainsi aux abonnés de découvrir ce qui est alors présenté comme un mode de transport en devenir. En effet, si l’Angleterre a d’ores et déjà inauguré sa première ligne voyageurs entre Stockton et Darlington (1825), la France poursuit ses travaux, menés notamment par les frères Seguin.
Le mystère
du mouvement
“Il est assez triste de penser que parmi les milliers de personnes qui font chaque jour le trajet de Paris à Saint-Germain, une vingtaine au plus peut-être ont pris la peine d’étudier le mystère du mouvement qui les emporte, et sont en état d’en parler avec quelque clarté. […] L’administration ne pourrait-elle pas, de son côté, stimuler et encourager sous ce rapport la curiosité publique ? Chaque fois qu’une machine nouvelle, importante, est acceptée par la science et l’industrie, n’y aurait-il pas utilité à en donner une explication publique, tous les dimanches, dans un local spécial, par exemple dans le Conservatoire des arts et métiers ?”
– Le Magasin Pittoresque, 1837
1835. Pour la première fois sont édités les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences. Impulsée par le chercheur François Arago, cette publication permet d’offrir aux lecteurs une revue précise de l’actualité et des débats scientifiques en cours. Huit ans après la création de la ligne de Saint-Étienne à Andrézieux en 1827, la lecture de ces textes est révélatrice des échanges qui animent la communauté scientifique. Si les traités consacrés à la vapeur se multiplient, ils semblent cependant rester réservés à une élite.
Ainsi, en 1837, au lendemain de l’inauguration de la première ligne française voyageurs entre Paris et Saint-Germain-en-Laye, un journaliste du Magasin Pittoresque déplore la méconnaissance persistante du public quant au fonctionnement des locomotives à vapeur. Il défend dans ce contexte la mise en place de sessions d’”explications publiques” au Conservatoire des Arts et Métiers.
L’entrée au
conservatoire
Créé en 1794 par l’abbé Grégoire, le Conservatoire National des Arts et Métiers conserve et valorise une riche collection dédiée au domaine ferroviaire. Dans son ouvrage publié en 2007 intitulé L’amphithéâtre, la galerie et le rail, Lionel Dufaux rappelle que la première acquisition relative aux chemins de fer intervient dès 1824. L’étude des inventaires, catalogues et dossiers de récolement datant du XIXe siècle révèle par ailleurs que la collection ferroviaire se développe de manière significative sous la monarchie de Juillet. En 1843, les rédacteurs du Magasin Pittoresque narrent ainsi la visite faite au sein de l’établissement : au cœur de la Grande Galerie, des modèles de rails et des écorchés de locomotives au format 1/5e permettent de découvrir le fonctionnement de la vapeur. Dix ans plus tard, le 28 janvier 1853, dans une correspondance valorisée par Lionel Dufaux, Théodore Olivier, ancien directeur du musée, insiste sur la principale problématique liée à l’exposition de matériels roulants échelle 1. D’après lui : “[…] la superficie de Paris ne suffirait pas dans quelques années pour loger tous ces modèles nouveaux que rêvent certains de mes collègues.”
Un chemin de fer
alsacien
Alors que l’institution parisienne poursuit l’enrichissement de sa collection ferroviaire, l’Alsace découvre à son tour le chemin de fer. En 1839, l’inauguration de la ligne Mulhouse-Thann marque une étape importante dans le développement du transport de voyageurs. Fruit de l’ambitieux projet de Nicolas Koechlin, cet événement attire les foules. Chapeaux haut de forme, crinoline et ombrelles se fondent dans un décor mêlant montagnes vosgiennes et cheminées fumantes. En tête de convoi, la locomotive Napoléon, fabriquée par la André Koechlin et Compagnie (ancêtre de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques), se hisse dès lors au rang de symbole du savoir-faire mulhousien. En 1841, le Strasbourg-Bâle s’impose comme le premier trajet ferroviaire international. Plus d’un siècle plus tard, ces épisodes historiques participeront à la naissance du Musée Français du Chemin de fer de Mulhouse.
Loi du 11 juin 1842
“Article 1er Loi relative à l’établissement de grandes lignes de Chemins de fer
Il sera établi un système de chemins de fer se dirigeant, 1° De Paris Sur la frontière de Belgique, par Lille et Valenciennes ;
Sur l’Angleterre, par un ou plusieurs points du littoral de la Manche, qui seront ultérieurement déterminés ;
Sur la frontière d’Allemagne, par Nancy et Strasbourg ;
Sur la Méditerranée, par Lyon, Marseille
et Cette ;
Sur la frontière d’Espagne, par Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne ;
Sur l’Océan, par Tours et Nantes ;
Sur le centre de la France, par Bourges ;
2° De la Méditerranée sur le Rhin, par Lyon, Dijon et Mulhouse ;de l’Océan sur le Méditerranée, par Bordeaux, Toulouse et Marseille.”
Promulguée par le roi Louis-Philippe, la loi du 11 juin 1842 redéfinit la carte de France. À travers ses dix-neuf articles, le texte dessine le futur réseau ferré à partir d’un point central : Paris. Simultanément à la confirmation de cette configuration répondant à l’expression d’“étoile de Legrand”, s’ajoute la mise en valeur de différentes dispositions financières et politiques. À titre d’exemple, contre la prise en charge de la construction d’une ligne par une compagnie, l’État s’engage à lui accorder le monopole sur son périmètre d’exploitation. Si cette loi accélère la spéculation et l’engagement d’acteurs tels que la Banque Rothschild, elle participe également à l’éclosion des principales compagnies ferroviaires qui perdureront jusqu’à la création de la SNCF en 1938.
Les premières compagnies
Jour après jour, le maillage ferroviaire s’épaissit et le rail tisse sa toile au bord des routes, à travers les forêts et par-dessus les rivières. Dans l’ensemble des départements français les lignes se multiplient et conjuguent le trafic de marchandises au transport de voyageurs. Au sein de cette révolution territoriale, technologique et sociale sans précédent, les entreprises se développent, se consolident, disparaissent ou s’allient. La lecture du Journal des chemins de fer et des progrès industriels, publié pour la première fois en 1842, permet aisément de mesurer ce phénomène d’ampleur. À la fin du Second Empire, les six principales compagnies ferroviaires confirment leur hégémonie. Il s’agit des compagnies du P.O. (Paris-Orléans, 1844), du Nord (1845), de l’Est (1845), du Midi (1852), de l’Ouest (1855), et du P.L.M. (Paris à Lyon et à la Méditerranée, 1857). Bien souvent modélisées par un code chromatique recouvrant chaque centimètre de la carte de l’Hexagone, ces dernières portent en elles le germe d’un extraordinaire patrimoine matériel et immatériel.